Les primes d’une assurance-vie échappent, en principe, à la succession, sauf si elles sont manifestement disproportionnées. L’examen de cet excès repose sur plusieurs critères, tels que l’âge, la situation financière et familiale du souscripteur, ainsi que l’utilité de chaque versement à la date de son règlement.
Dans un arrêt 19 décembre 2024, la Cour de cassation précise que l’intérêt des héritiers réservataires n’est pas un critère pertinent dans cette évaluation. Civ. 2e, 19 déc. 2024, F-B, n° 23-19.110
Pourquoi l’assurance-vie suscite-t-elle autant d’intérêt ? Les chiffres récents confirment l’engouement des Français pour ce produit d’assurance, avec une collecte record de 4 milliards d’euros en novembre 2024.
En plus de ses avantages fiscaux, l’assurance-vie présente des atouts civils considérables. Bien que parfois présentée de manière exagérée comme étant « hors succession », elle reste une option de choix pour ceux qui cherchent à planifier la transmission de leur patrimoine.
Aujourd’hui, il est rare d’ouvrir une succession sans y trouver un contrat d’assurance-vie et l’assurance-vie génère un contentieux croissant en matière successorale.
Le droit des assurances se mêle ainsi au droit des successions, soulevant des interrogations sur la façon dont les règles relatives à ces contrats s’articulent, notamment avec celles concernant la réserve héréditaire.
Dans l'affaire jugée par la cour de cassation : une femme de 83 ans décède et laissant pour héritière une fille unique. Durant sa vie, la défunte a souscrit un contrat d’assurance-vie, en y versant un total de 274 800 € et désigne la Ligue nationale contre le cancer comme bénéficiaire. Cette décision est probablement liée à sa propre lutte contre la maladie. La fille unique, se sentant lésée dans ses droits à la succession, a cherché à obtenir judiciairement que certaines primes soient réintégrées dans la succession de sa mère.
La cour d’appel de Metz, a jugé en faveur de la demande en ordonnant la réduction des primes versées à hauteur de 130 000 € et leur réintégration dans la succession. Cette décision reposait sur la contrariété du contrat aux droits de l’héritière réservataire. En réponse, la Ligue nationale contre le cancer a formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation, dans un arrêt publié au Bulletin, a désavoué la cour d’appel, clarifiant les critères à prendre en compte pour évaluer le caractère manifestement excessif des primes d’un contrat d’assurance-vie. Elle a souligné pour la première fois que l’atteinte à la réserve héréditaire ne constitue pas un critère valable dans cette analyse.
Il est essentiel de bien connaître les règles spécifiques qui régissent l’assurance-vie. L’article L. 132-13 du code des assurances stipule que les primes d’un contrat d’assurance-vie ne sont pas soumises aux règles de la succession, sauf si elles sont manifestement disproportionnées. Cette appréciation est effectuée à partir de critères bien définis et régulièrement rappelés par la jurisprudence.
La Cour de cassation rappelle que « les primes versées par le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur. » Cette évaluation se fait au moment de chaque versement, en tenant compte de l’âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que de l’utilité du contrat pour lui.
En pratique, cet excès est rarement retenu dans la jurisprudence. Dans l’affaire en question, aucun des critères habituellement utilisés n’a permis de prouver l’exagération des primes : il a même été estimé que le montant total des primes versées en 2009 et 2010 restait proportionné aux moyens de la souscriptrice, et que ces versements n’avaient pas altéré son niveau de vie. Le contrat d’assurance lui était également utile.
Pour justifier l’excès des primes, la cour d’appel a mis en avant l’atteinte à la réserve héréditaire, soulignant que le dernier versement avait entraîné la quasi-totalité des biens de la souscriptrice dans un contrat d’assurance-vie au profit de la Ligue contre le cancer. Ce placement aurait privé sa fille unique d’une part importante de la succession, excédant ainsi la réserve héréditaire. Toutefois, la Cour de cassation a rejeté cet argument, estimant que l’atteinte à la réserve héréditaire n’était pas un critère pertinent pour apprécier si les primes étaient manifestement exagérées.
La Cour de cassation a souligné que l’évaluation de l’excès des primes doit être effectuée en tenant compte de critères précis et cumulatifs : l’âge, la situation patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que l’utilité du contrat pour lui. L’intérêt des héritiers réservataires n’entre pas en ligne de compte. Ainsi, la cour d’appel de Metz a erré en ajoutant un critère non pertinent à l’analyse, ce qui a conduit à l’annulation de sa décision.
Bien que l’assurance-vie soit parfois perçue comme un moyen de contourner la réserve héréditaire, la jurisprudence démontre que ce n’est pas une solution aisée pour évincer les héritiers réservataires. En effet, bien que l’assurance-vie bénéficie d’une franchise successorale, son utilisation est encadrée par le principe de proportionnalité. Le juge exerce un contrôle sur cette proportionnalité afin de garantir qu’elle ne constitue pas un abus.
Il convient donc de rester prudent et de mesurer les versements en fonction des critères établis, sans se contenter d’un raisonnement fondé sur l’intérêt des héritiers réservataires. La décision de la Cour de cassation rappelle que, même dans le cadre d’une planification successorale, il existe des garde-fous juridiques pour éviter les abus.
N'hésitez pas à contacter Me Olivier MINGASSON, avocat associé du cabinet les Avocats du Thélème, qui se spécialise en matière de droit des successions et droit de l'indivision.